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Les Textes de Vincent
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Les Textes de Vincent

VIP-Blog de vinny53poesie
  • 45 articles publiés
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  • Créé le : 25/03/2010 19:07
    Modifié : 26/06/2012 15:26

    Garçon (52 ans)
    Origine : la Mayenne
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    [ Les Furtives ]

    Blessures Africaines Partie 3 et Fin

    25/08/2010 13:04



    Bien que très touchée, la doctoresse lui avait répondu comme il se devait qu’elle n’avait fait que son devoir sans plus. Un lien venait de se créer entre ces deux là. L’homme réalisait qu’il avait mal jugé cette femme de valeur. Celle qu’il avait prise pour une petite bourgeoise bien intentionnée se révélait une héroïne courageuse qui venait de lui sauver la vie. Loin de lui paraître ennemie, elle devenait une alliée précieuse pour négocier avec le gouvernement. L’heure n’était plus à la révolte inutile de poursuivre la prise d’otage qui ne représentait plus rien. L’armée avait repris le dessus renforcée par les unités françaises. Le président souhaitait exécuter tous les «  terroristes » comme il se plaisait à les nommer, mais pour garder la face devant ses alliés, il trouvait opportun de se montrer magnanime à l’égard de ceux qui avaient voulu le renverser. Touera figurait sur la liste des plus recherchés de tous, sa tête était mise à prix et malgré la confiance qu’il vouait au peuple « Mokasso » et bien sur à Anita, il savait qu’il ne s’écoulerait que peu de temps avant qu’on le retrouve. Dans son état la fuite n’était pas envisageable et le mieux pour lui serait de traiter avec le gouvernement en comptant sur la jeune femme pour plaider sa cause. Il n’était pas dans les habitudes de Nasir Touera de se dérober ni de nier sa responsabilité, mais la perspective de reprendre un jour le mouvement lui interdisait de finir sa vie en détention. Après voir été leader, stratège il lui fallait à présent apprendre l’art de la politique et celui de la diplomatie, cette dernière étant loin de compter parmi ses grandes qualités. :

    -- Docteur !

    -- Tiens vous m’appelez docteur maintenant ? Que voulez-vous

    -- Je sais que mon attitude envers vous ne me donne pas le droit de vous demander ça mais…

    --Allez-y parlez, si je peux vous rendre service, n’hésitez pas !

    -- Pourrez-vous parler pour moi au gouvernement ?

    -- Vous savez, je suis loin d’être proche de votre gouvernement …

    -- En tant que représentante d’une ONG importante, vous avez de l’influence!

    -- Oh je crois qu’on m’a oublié depuis le temps !

    -- Non, non, je suis sur que personne ne vous oublie, vous êtes de celles qu’on n’oublie jamais !

    -- Merci mais, vous me donnez trop d’importance !

    -- En tous cas, moi j’ai confiance en vous !

    --Soit, si je peux d’une manière ou d’une autre parler en votre faveur, je le ferais, moi aussi j’ai confiance en vous et je sais que votre comportement a été digne étant données les circonstances !

    -- Vous êtes une femme d’honneur, docteur !

    -- Appelez-moi Anita, après ce que nous avons partagé, on peut se le permettre!

    Puis il se rendormit pour un sommeil plus ordinaire et plus réparateur. Cette requête que venait de lui adresser Touera, rappelait à Anita qu’elle devrait tôt ou tard revenir à la vraie vie. Elle s’était tellement familiarisée avec ce village et sa population et Henri semblait si heureux, qu’elle avait fini par se convaincre qu’elle et lui appartenaient à cette population, comme s’ils y étaient nés. Elle s’en voulait presque d’avoir un peu oublié Ahmed, pensant évidemment qu’on l’avait épargné, connaissant davantage celui qui les avaient pris en otage, elle n’en doutait plus, mais Ahmed représentait à ses yeux plus qu’un employé, même plus qu’un collaborateur précieux, c’était un ami, un proche et la seule idée qui put lui arriver malheur aurait plongé la jeune doctoresse dans un désarroi profond. Pourtant l’existence insouciante et paisible qu’elle menait au cœur de ce village l’avait soustraite à la réalité. Son cœur balançait entre l’idée de retourner au Canada et retrouver sa famille avec la fierté de présenter, son fils chéri, et le désir de s’installer définitivement au sein de ce village qui désormais ne saurait plus se passer d’elle, de ses soins, de son amitié ainsi que de celle d’Henri. Elle restait consciente néanmoins que vivre ici représentait des sacrifices au devant desquels elle ne saurait peut-être pas faire face. Il lui faudrait dépasser son goût pour le shoping, les coquetteries, les parfums et autres cosmétiques et tous ces petits luxes paraissant indispensables aux femmes américaines et européennes. Mais depuis qu’elle déambulait à travers ce continent africain, elle avait appris de ses habitants l’attachement à l’essentiel, la force d’affronter les douleurs du quotidien et la faculté de ne se soucier que du quotidien. Elle comprenait à présent la motivation de ces sourires qu’elle voyait affichés sur les visages en toutes circonstances. Les new yorkaises se pressant dans la course au grand luxe n’auraient jamais pu comprendre comment des gens vivant dans un tel dénuement étaient capables d’afficher une telle joie de vivre alors qu’elles arboraient une mine angoissée au moindre aléa. Anita en revanche savourait depuis un an le bonheur des petites choses inestimables, bien plus encore depuis que les « Mokasso » l’avaient accueilli avec tant d’amitié en lui apprenant leur mode de vie. Et surtout la satisfaction d’une journée écoulée. Par ailleurs elle songeait toujours à Saïd, son cœur cherchait à le connaître et son corps le désirait. Elle finissait par s’expliquer les brûlures de sa chair, c’était bien cet homme là qui les avait rendu incandescentes.

    Il lui semblait indispensable maintenant d’aller jusqu’au bout de ses désirs en les réalisant.

    Il était à peine cinq heures ce matin là lorsqu’Anita et Henri furent réveillés par un vacarme incessant de camions qui se succédaient. Des militaires en descendaient les uns après les autres avec une régularité impressionnante. L’homme qui dirigeait la compagnie ordonnait qu’on fouillât une à une les cases quitte à les incendier. Anita comprit aussitôt qu’on recherchait Touera, il ne faudrait pas longtemps avant de le retrouver chez elle. Sans perdre de temps, aidée par son fils elle saisit le blessé en glissant la tête sous le bras de Touera de manière à ce qu’il pût s’appuyer sur son épaule, Henri fit de même de l’autre côté, il ne leur restait plus qu’à sortir sans se laisser découvrir, ce qui ne paraissait pas aisé. Par une chance invraisemblable les hommes regardaient tous dans le sens opposé, Anita en profita pour amener son blessé vers le bas du village de façon à gagner la rivière aussi rapidement que possible. Après quelques minutes à petits pas accélérés ils parvinrent à sortir du village sans qu’on s’en fût aperçu. A ce stade ils pouvaient ralentir un peu la marche, Nasir les aidait comme il le pouvait, s’obstinant à poser les deux pieds l’un après l’autre au mépris des douleurs que lui arrachaient chacun de ses efforts. Il leur sembla que personne ne les avait suivi, ils poursuivirent leur parcours épris d’angoisse et brisés de fatigue. Il n’existait pas de sentier de ce côté du village et il leur fallait enjamber divers obstacles allant de simples touffes aux monticules en passant par des haies peu épaisses et de faible taille mais suffisamment encombrantes pour les contraindre à lever les pieds. Il s’écoula une demi-heure pendant laquelle les trois fuyards ne s’étaient même pas arrêtés une seule minute tant la volonté d’échapper au danger les avait tenu. A bout de force, Anita décida de stopper la marche, offrant à tous un répit largement mérité. L’éloignement permettait de ne plus percevoir les cris du capitaine qui commandait le détachement. Le silence apaisant donnait un réconfort et l’espérance de parvenir à atteindre leur but. Soudain, cinq minutes après avoir repris la marche, ils finirent par entendre le chant de la rivière qui ne ruisselait qu’en un filet à cette période de l’année. Cette musique harmonieuse leur flanqua un coup de fouet qui accélérait leurs pas jusqu’à ce point d’eau qui pouvait à la fois étancher leur soif et assainir leur corps encrassés de sueur. Après s’être humecté entièrement, ils se laissèrent tomber sur la berge et s’endormirent tous les trois sans tarder. Deux heures après quand Anita sortit de sa léthargie, Touera était assis à côté d’elle, il semblait presque rétabli, la force de la nature qui le constituait prenait le dessus sur la faiblesse de ses douleurs. Henri dormait encore, épuisé par tous les tumultes qu’il venait de subir. En voyant son patient conscient et conciliant, elle ne put s’empêcher de lui poser la question qui lui brûlait les lèvres:!

    -- Maintenant que nous sommes là, à l’abri pouvez-vous me dire ce que vous avez fait d’Ahmed, mon chauffeur ?

    -- Ah! Personne ne vous l’a dit ?

    -- Quoi ? Que s’est-il passé ?

    -- Quand on l’a emmené, alors que mon homme le tenait au respect, il a tenté de s’échapper …

    -- Et alors ?

    -- Il…il a été obligé de lui tirer dessus…

    --Qui il ?

    -- Disons qu’ils se sont battu et le coup est parti…

    --Ahmed est blessé ? Où le détenez-vous ?

    -- Non ! Il est mort !

    -- Vous l’avez tué ?

    -- Pas moi, mais je vous l’ai dit ce n’était pas prévu, ça n’aurait jamais du arriver

    -- Je peux savoir où est son corps !

    -- Mon homme l’aura certainement enterré sur place !

    -- Vous n’êtes qu’un sauvage, j’aurais du vous livrer à l’armée !

    -- Mais vous ne l’avez pas fait, vous avez risqué votre vie pour moi, pourquoi ?

    -- J’ai horreur de l’injustice, de la violence et je sais que ces hommes ne vous auraient fait aucun cadeau !

    -- Contrairement à ce que vous pensez, moi aussi j’ai horreur de l’injustice, je ne suis pas un monstre et je suis sincèrement désolé pour votre chauffeur !

    -- C’était bien plus qu’un chauffeur, c’était un collaborateur, un ami, un confident, pratiquement un frère pour moi !

    -- Vous ne ressemblez pas aux autres !

    -- Les autres quelles autres ?

    -- Les autres femmes blanches de chez vous, médecins ou bureaucrates…

    -- Qu’Est-ce que vous pouvez savoir des femmes américaines ou européennes ? De toutes façons vous vous en foutez puisque vous les avez toutes jugées et cataloguées définitivement ! Pour vous elles sont toutes idiotes ou superficielles, cupides, méprisantes et surtout elles se permettent de temps en temps de faire la charité pour se donner bonne conscience, c’est bien ça , non ?

    -- Vous êtes dure ! Vous devez me trouvez ridicule !

    -- Pas ridicule, pathétique, pire, pitoyable, je vous plains !

    -- Je ne suis pas un mauvais homme, d’ailleurs je n’ai tué que deux hommes dans ma vie, en état de légitime défense et croyez que je le regrette !

    -- Vous avez tué Ahmed !

    -- Je vous dis que ce n’est pas moi !

    -- C’est tout comme, si vous ne l’aviez pas enlevé, il n’aurait pas tenté de s’échapper, vous êtes responsable de sa mort !

    -- Je suppose que vous avez raison !

    -- Maintenant que vous êtes pratiquement sur pieds, vous allez vous démerder sans moi, je vous laisse, j’ai un fils sur qui je dois veiller, je lui ai déjà fait courir trop de risques ! Alors adieu monsieur, et bon vent, que je n’entende plus jamais parlé de vous !

    -- Merci, madame, et que Dieu vous garde !

    -- Ah oui Dieu, et bien si vous y croyez priez le donc pour vous, ça vous sera utile !

    Sans autre commentaire elle prit la main de Henri et ils retournèrent vers le village espérant que l’armée l’avait déserté. Lorsqu’ils arrivèrent, le spectacle de l’horreur était à son comble. La plupart des cases étaient carbonisées, une odeur inondait l’atmosphère, des corps ensanglantés gisaient à même la terre, des femmes pleuraient sur leurs enfants étendus auprès d’elles. Les adolescents du village s’acharnaient sur les soldats qu’ils avaient extraits de l’un des camions, bien que ceux-ci n’eussent point participé au massacre, ils en faisaient les frais. Anita déambulait au hasard de ces tas de chair qui trainaient là. Ces corps déchiquetés, démembrés pour certains étaient des amis, des proches, sa nouvelle famille. En s’aventurant davantage, elle découvrit la dépouille de Douama, son amie, sa sœur de cœur. La pauvre femme avait du être questionnée et torturée, sans doute avait-elle voulu protéger son amie en se taisant, elle s’était sacrifiée. Non loin de là, un garçon, sanglotait, la rage au cœur, c’était N’D’aye qui souffrait en mâchouillant sa douleur. En s’approchant de lui , le garçon lui montra le poing, son regard était d’une dureté terrifiante. Il s’écarta d’un pas, elle comprit qu’il lui en voulait :

    -- N’D’aye, je suis désolé , je suis tellement désolé, c’est…

    -- Tais toi ! C’est ta faute ! C’est ta faute !…. ( répétait-il sans cesse comme s’il n’avait su prononcer que ces mots dans une langue qui n’était pas la sienne)

    Anita restait impuissante, oui c’était sa faute, il aurait suffi de rester là et de laisser l’armée s’emparer du rebelle, ensuite on les aurait laissé en paix elle, Henri et le village. Au lieu de cela elle avait voulu jouer les héroïnes en sauvant la vie d’un homme qui était responsable de la mort de son ami Ahmed. Elle contemplait ce garçon rempli de haire et de colère, qui la méprisait pour tenter d’atténuer sa douleur. Elle aurait voulu aider tous ces gens qui l’entouraient, mais tous la rejetaient. Nul n’avait besoin de ses soins, c’était plutôt le réconfort et la consolation qui leur étaient nécessaire, mais surtout pas de la sienne, ils la chassait. Sans le vouloir elle avait failli à leur hospitalité, elle devait partir le plus loin possible. Bien sur elle savait que cette haine n’était due qu’à la souffrance qu’ils éprouvaient , ils se servaient d’elle comme d’un souffre douleur, mais elle n’ignorait pas sa part de responsabilité ou du moins son irresponsabilité dans l’action qu’elle avait entreprise et qui avait occasionné cette horreur. Le cœur étreint par la peine causée et le mal qu’elle en subissait, elle appela Henri et tous les deux s’acheminèrent vers le sentier incertain qui les conduirait ailleurs.

    Tout au long de cette piste qui semblait mener nulle part, Anita restait hanté par les images du charnier dont elle se sentait responsable. Elle revoyait ces visages qu’elle connaissait si bien, elle revoyait la douceur et la gentillesse de Douama et son corps gisant dans une mare de sang. Elle revoyait aussi le regard de N’D’aye qu’elle n’oublierait plus jamais, qui lui reprochait cette horreur. Comme il avait raison, elle avait sacrifié ses amis pour sauver un rebelle, un bandit, un criminel. Quelle amie était elle pour commettre un tel sacrilège, quel exemple représentait elle pour cet enfant dont elle serrait la main comme pour ne pas perdre le seul être qui voulait encore d’elle. Pourquoi était-elle venue dans ce pays si ce n’était pour soigner, pour sauver des vies, pour aider ces pauvres gens victimes des injustices, du mépris des peuples que l’on dit « civilisés ». Pourquoi avait-elle choisi d’être médecin si cela devait la transformer en traîtresse immonde. Ah, elle ne valait pas mieux que ses camarades de faculté qui se souciaient de la manière dont-ils gèreraient leur avancement de carrière et des fortunes qu’ils se feraient en s’orientant vers telle ou telle spécialité. Elle était même pire, pour sauver un homme elle avait sacrifié un village entier, quelle misérable personne pouvait-elle être ! Ah ils étaient « beaux » Nasir et tous ceux qui comme lui pensaient que la violence pouvait tout résoudre, oui même Saïd était de ceux là, ils pouvaient tous aller crever en enfer, c’en était fini , jamais plus elle ne lèverait le petit doigt pour ces crapules. Fini aussi ce désir qu’elle éprouvait pour ce dernier, son beau visage de star, sa musculature parfaite, ses yeux profonds de tendre séducteur et sa prestance héroïque aux fières allures de « bad boy » dont raffolent les midinettes. En fait plus elle y songeait et plus elle se sentait attirée par lui, elle se sentait aussi midinette que celles qui se jettent sur la presse people pour admirer les regards et les corps bien charpentés de leurs idoles. Décidément elle était indigne de ce pays, de sa fonction de médecin, de son rôle de mère, indigne de tout et surtout de ceux qui avaient cru en elle et qu’elle avait honteusement trahis. Tandis qu’elle parcourait ces horribles souvenirs, Henri se taisait, il se contentait de suivre ses pas. Loin d’être insensible à ce qu’il venait de voir, son expérience déjà trop élimée, lui avait apporté une certaine faculté de recul par rapport aux horreurs. Il se parait d’une cuirasse pour ne plus vomir son dégoût ni pleurer sur la misère de ces larmes qui finissaient par lui tarir le cœur. Doté d’un fatalisme emprunt de sagesse, il pensait que sa mère avait agi comme il le fallait puisqu’elle avait obéi à sa conscience et qu’il n’était permis à quiconque de la rendre responsable. Il n’ignorait rien de ce qu’elle ressentait comme si leurs pensées savaient se connecter tant ils étaient proches. La piste était déserte et rien sur leur passage ne présageait le moindre aboutissement à ce parcours sans fin. De mémoire Anita se souvenait qu’il existait un village à une trentaine de kilomètres de là, elle ignorait s’il existait encore, il n’était pas rare que des villages eussent disparu victimes de sécheresse ou de vandalisme ou de pillage ou balayés par la mousson, contraignant leurs habitants à élire domicile dans les villes. S’ils avaient de la chance celui-ci aurait échappé aux divers avatars de la nature. Anita regardait son fils avec émerveillement, elle admirait ce petit bout d’homme qui ne se plaignait jamais quoiqu’on lui eut fait supporter. Ses pas s’enchainaient avec une uniformité ne laissant jamais transparaître un signe de fatigue ou un agacement ni la moindre hostilité à l’égard de tous ces changements brutaux auquel il devait faire face. Au cours de ce long cheminement qu’ils effectuaient ensemble, main dans la main, accrochée de confiance et d’amour, elle le sentait en son être tel qu’en un cordon ombilical indestructible, comme si elle l’avait porté pendant une véritable nidation. Elle réalisait alors la force de ces femmes qui vouent un amour profond pour les enfants qu’elles ont adoptés , aussi éprises et féroces pour défendre ces êtres qui ne proviennent pas de leur chair mais dont la souffrance leur déchire tout autant le cœur. Elle appartenait désormais à cette « Race » de femmes là, elle savait que rien ni personne ne pourrait l’en soustraire.

    La nuit allait bientôt tomber quand un camion de fit entendre. Anita se plaça au bord de la piste afin de se rendre visible, en la voyant elle et ce gamin épuisé qui l’accompagnait, il s’arrêta immédiatement. L’homme la reconnut aussitôt, il avait été blessé au cours d’une risque dans un bar d’Abidjan. C’était pour lui l’occasion de rembourser une dette qui lui tenait à cœur :

    -- Sans vous, lui dit-il j’étais foutu, ce balaise m’avait démoli, ça m’apprendra à me saouler avec des mecs plus costauds que moi.

    -- Le mieux serait encore de ne pas chercher la bagarre !

    -- oh que voulez-vous c’est plus fort que moi quand je suis bourré je suis un emmerdeur !

    -- alors calmez-vous sur la bouteille, ça ne vous fera pas de mal !

    -- Vous avez surement raison ! Sacré docteur vous alors !

    -- Oh j’essaie de faire mon boulot c’est tout !

    -- Qu’est-ce qui vous amène sur cette route à la tombée de la nuit, avec un petit bonhomme complètement flingué !

    -- Ah ça c’est une longue histoire ! Pour faire court je dirais qu’il s’est produit un drame épouvantable dans le village où j’étais ! Et…j’ai du en partir précipitamment…enfin on m’a chassé !

    -- Quoi ? Vous on vous a chassé du village ne peux pas croire ça ! Vous êtes une sainte !

    -- Oh que non ! Ils ont eu raison, j’ai mis leur vie en danger, c’est impardonnable !

    -- Qu’est-ce que vous avez donc fait ?

    -- J’ai préféré épargner un rebelle en le cachant, l’armée s’est vengée sur la population !

    -- Ce n’est pas vrai , répliqua Henri, elle a voulu sauver un homme ce n’est pas sa faute si les méchants soldats ont tué les gens, maman fait toujours ce qu’il faut, elle sauve des vies !

    -- Ecoutez-le ce petit , je crois bien qu’il a raison , renchérit l’homme, vous savez toujours faire ce qu’il faut, vous êtes juste!

    -- Je dois tout à ces gens, ils m’ont accueillie hébergée nourrie et je les ai laissé tomber, je suis indigne !

    -- Vous déconnez docteur, vous n’êtes pas responsable de la cruauté de ce pays !

    -- Vous êtes bien bon …

    -- Hyacinthe !

    -- Vous êtes trop bon avec moi Hyacinthe !

    -- Vous êtes quelqu’un de bien !

    -- Alors pourquoi m’ont-ils rendu responsable ?

    -- Bah! Quand on souffre on a besoin de trouver un bouc émissaire à qui faire payer l’addition! Ils sont injustes mais il faut pas leur en vouloir !

    -- Oh mais je ne leur en veux pas, c’est plutôt à moi !

    -- Oh ça s’arrangera, vous verrez !

    -- Alors je vous emmène où , docteur ?

    -- Si vous passez à Kwamassa ça m’arrangerait mais si vous me rapprochez un peu ça ira, et appelez moi Anita, je ne suis plus votre médecin !

    -- Bon pas de problème, je vais à Kwamassa !

    -- C’est vrai ? Ne faites pas le détour exprès pour moi !

    -- Ah vous alors !

    -- Vous êtes un homme généreux, Hyacinthe, je vous remercie !

    Puis il se tut, Henri commençait déjà à s’endormir et Anita ne tarda pas à faire de même malgré les chaos provoqués par les écueils parsemés tout au long de la piste.

    Le jour s’ouvrait sur Kwamassa, un soleil déjà trop lourd éclairait les demeures colorées et l’église blanche du village. Anita et Henri s’éveillèrent en même temps, en souriant à Hyacinthe elle se soucia de l’était de son fils afin d’être sur que son sommeil n’eût pas été perturbé. Le chauffeur les déposa devant le dispensaire. En les apercevant Sylla qui faisait office de gardien de nuit n’en revenait pas:

    -- Oh Docteur, vous enfin, on vous a cru morts vous et le petit.

    -- Oh mais j’ai bien failli, moi aussi je suis bien heureuse de te revoir. Alors comment ça se passe ici, tout va bien ?

    -- On se débrouille mais on manque de médicaments, ceux que vous deviez nous apporté ne sont jamais arrivés.

    -- je sais, Ahmed a été tué, et tous les médicaments ont servi aux rebelles.

    -- Ahmed est mort ? Oh mon Dieu !

    -- Oui Sylla, il nous a protégé jusqu’au bout Henri et moi, il s’est conduit comme un héros !

    -- Heureusement que vous êtes sorti sains et saufs tous les deux ! Que ferait-on sans vous !

    --- Oh je sais que vous vous en sortiriez très bien tous, la preuve d’après ce que je vois vous avez fait un boulot super !

    -- Ne croyez pas ça Docteur, on a eu plusieurs morts !

    -- Mais pense à tous ceux que vous avez sauvé Sylla, il faut toujours penser à ceux qui survivent, sinon on ne peut plus continuer !

    -- Je le sais, c’est toujours ce que vous dites mais quand je vois tous ces enfants, je ne pense plus qu’à eux !

    -- Tu as un grand cœur et tu as raison de penser aux enfants qui sont morts dans la souffrance de ces maladies horribles, moi aussi j’en souffre mais j’ai du apprendre à me tourner vers ceux qu’on pouvait sauver, sinon je serai parti depuis longtemps, crois moi !

    -- Vous êtes un grand médecin docteur !

    -- Ah! Si seulement ! Par contre toi tu es un excellent infirmier, proche de tous, tu es toujours là quand ils ont besoin de toi et ça ne t’empêche pas de me seconder avec patience et gentillesse. Je ne te le dis pas assez Sylla, mais tu es précieux, sans toi , sans Mathilde, sans Gisèle et Toufik , je n’aurais jamais pu tenir ce dispensaire, et vous l’avez fait tourner sans moi , comme quoi vous êtes vraiment les meilleurs !

    -- Vous êtes trop bonne Docteur !

    -- Arrête je ne suis pas le bon Dieu, et puis je t’ai déjà dit de me tutoyer et de m’appeler Anita !

    -- Oh mais ça je ne peux pas, vous êtes le docteur !

    -- A les rebelles ont bien raison, c’est dur de se débarrasser des séquelles de la colonisation !

    -- Ce n’est pas parce que vous êtes blanche, mais vous êtes le docteur, je vous dois le respect !

    -- Je ne suis qu’un docteur, un tout petit médecin de brousse et ça ne fait pas de moi quelqu’un de plus important que toi, tu comptes autant que moi !

    -- Si je pars on pourra toujours me remplacer mais vous, personne ne pourra vous remplacer!

    -- Je sais que personne ne se bouscule pour prendre la place mais il restera toujours des gens pour se soucier de ce pays et des drames que les gens vivent ici ! Et puis un jour viendra où le peuple africain saura se prendre seul en charge, vous n’aurez plus besoin de nous!

    -- Je crois que le jour où ça arrivera j’aurais quitté ce monde depuis bien longtemps

    -- Tu fais si peu confiance en ton peuple ?

    -- Non, c’est le monde qui ne lui fait pas confiance et le peuple africain finit par croire lui-même qu’il est incapable !

    -- J’ai peur que tu dises vrai Sylla, ça arrange tout le monde de vous rendre dépendants, les multinationales s’enrichissent et les gouvernements les suivent. L’Afrique sert de tremplin au surdéveloppement économique des pays riches et l’appauvrir ne peut qu’accentuer ce phénomène , alors on fait la charité comme on distribue des cacahuètes au singes ça fait illusion et ça donne bonne conscience mais ça ne change rien, au mieux ça stagne

    -- Que vous est-il arrivé Docteur, vous avez perdu la foi ?

    -- En Dieu non, en l’homme oui un peu, il ne faut pas céder Sylla, toi et les autres sachez tenir tête à ceux qui vous avilissent et vous assujettissent, montrez que vous êtes importants et dignes ! Soyez forts, soyez justes mais soyez à la hauteur de tous ceux qui veulent vous amoindrir !

    -- Holà ! Que vous arrive-t-il donc ?

    -- Excuse moi, je déraille un peu mais c’est que j’ai beaucoup appris pendant ces quelques semaines, j’ai réalisé pas mal de choses dont je n’avais pas pris conscience jusque là !

    -- Et qui vous a donc appris ces choses ?

    -- Me croirez-vous si je vous dit que c’est l’un des chef de la rébellion !

    -- Quoi ? Vous avez discuté avec ces gens là, mais ils sont très dangereux , ce sont des assassins !

    -- Mais non , sinon je ne serais plus là pour t’en parler ! En fait les assassins ne sont pas ceux qu’on croit !

    -- Vous avez du en voir des horreurs vous et le petit ?

    -- Tu n’imagines pas Sylla, un massacre !

    -- Mon Dieu ! Quelle horreur !

    -- Mais parlons d’autre chose, tu as passé la nuit là ?

    -- Oui il fallait bien !

    -- Bon alors va te reposer un peu , tu en as bien besoin !

    -- Mais je dois rester là en attendant que les autres arrivent

    -- Ben et moi , je sers à quoi alors ?

    -- Mais vous vous êtes ….

    -- le Docteur je sais, ça ne veut pas dire que je ne suis pas capable de surveiller, d’ailleurs je vais en profiter pour faire la tournée, ça va me faire du bien et puis sinon je suis capable de me débrouiller, tu ne crois pas ?

    -- Si , si ! Bon ben si vous n’avez pas besoin de moi, j’y vais !

    -- Et surtout ne reviens pas avant la fin de l’après midi, sinon je te renvoie à coups de pieds au cul !

    -- Bon, d’accord !

     

    Le pauvre aide soignant repartit contraint par le ton employé. Il était rare qu’Anita exerçât de manière aussi impérative son autorité. Elle se plaisait de coutume à instaurer une ambiance amicale où chacun savait le rôle qu’il avait à jouer de façon à utiliser au mieux en utilisant les capacités de chaque soignant. Elle les avait formé elle-même alors qu’aucun d’entre eux ne possédait le moindre diplôme, mais leur soif d’apprendre et leur aptitude à exercer avaient fait d’eux des spécialistes en leur domaine. Anita savait reconnaître les talents et dans ce pays démuni du point de vue médical elle avait du s’organiser comme c’était souvent l’habitude dans les ONG. N’importe quel médecin diplômé de faculté française, américaine, canadienne ou d’ailleurs aurait été choqué de constater qu’on pouvait donner de telles responsabilités à des individus dénués d’une quelconque formation à la base, mais se serait vite rendu compte que leur travail s’avérait efficace en la circonstance. Moins d’une heure après son service commencé les autres arrivèrent avec le même enthousiasme que celui de Sylla. Ils avaient craint le pire, les potins allaient bon train dans la région et d’aucun avaient murmuré que la jeune doctoresse américaine avait été massacrée par les rebelles. D’autres prétendaient qu’elle était retournée dans son pays, épuisée par sa charge de travail. Il en était même pour dire qu’elle s’était mariée à un riche colon et qu’elle s’apprêtait à jouer les bourgeoises égoïstes. Manifestement ces derniers ne connaissaient pas Anita qui s’amusait de ces rumeurs maladroites qui dans le fond, ne prêtaient pas à conséquence. Sa plus grande préoccupation en dehors de ses patients était le bien être de son fils. Les dures épreuves qu’elle venait de subir lui permettaient de réaliser qu’elle ne l’avait pas suffisamment protégé. Elle se sentait résolu à ne plus commettre les mêmes erreurs en veillant ainsi coûte que coûte sur son quotidien. « Tant pis, se disait-elle si je le couve trop ! »  « Tant pis si je l’assomme avec des questions inquisitrices, je ne veux plus lui faire prendre le moindre risque ! »

    Certes, quand on connait le soucis légitime d’une mère on imagine aisément les conséquences d’une telle décision. Elle-même était consciente de l’enfer qu’elle pourrait ainsi faire vivre à Henri mais, le mal s’avérait nécessaire à la survie de l’enfant là où chaque jour représentait un danger, là où les amis d’hier pouvaient devenir les ennemis de demain.

     

    La blessure de Layane qu’elle était entrain de soigner était au comble de l’infection. Elle manquait terriblement de pansements. Les flacons d’alcool devenaient rares et il ne restait que quelques boites d’antiseptiques. C’est alors que la providence qui se penchait sans cesse sur ses tracas, intervint encore de manière prodigieuse. Une Jeep s’arrêta brutalement devant le dispensaire, un homme en descendit les bras chargés d’un carton rempli de pansements, de flacons d’alcool, de médicaments analgésiques, antiseptiques, des aspirines et des antidiurétiques. L’homme les posa sur la table d’examen en s’exclamant:

    -- Tenez docteur, ça provient de l’un des villages détruits, j’ai pensé que vous en auriez besoin!

    En entendant cette voix Anita reconnut en levant les yeux le visage de Saïd. L’homme avait échappé aux arrestations impitoyables de l’armée et s’était précipité sur tous les stocks récupérés çà et là afin d’en faire profiter la doctoresse. Il semblait évident que cela ne constituait pas l’essentiel de sa démarche. Il s’était emparé de ce prétexte pour la revoir.

    Peu de temps après le départ d’Anita et de Henri, Saïd s’était rendu au village « Mokasso », en constatant l’horreur il s’était renseigné auprès des habitants qui lui avaient fait part de leur ressentiment à l’égard de jeune femme. Saïd eut alors vite compris dans quel état d’esprit devait se trouver celle qu’il commençait à apprécier plus qu’il ne l’imaginait, se faisant un devoir de la soutenir, il ramassa tous les médicaments qu’il trouva et, se doutant des défaillances du dispensaire, se chargea de les lui apporter. Il la rassura immédiatement en lui confiant qu’une unité médicale s’était rendu sur place afin d’évacuer les survivants pour les déplacer dans un autre village. Avant même qu’elle n’osât lui parler de son renvoi, il la consola en lui rappelant qu’ils avaient été injustes envers elle, mais que cela ne durerait pas. Anita se sentait en confiance avec cet homme si gentil et si rassurant. Elle ressentit à nouveau cette sorte de fièvre qui s’emparait d’elle et transparaissait jusque sur ses joues. Ce désir inouï l’immobilisait soudainement au point qu’elle ne pouvait plus faire un pas. Cette curieuse sensation lui procurait à la fois un bien être et une gêne terrible. Elle avait envie qui l’a prît dans ses bras en l’embrassant fougueusement, sur les lèvres et dans le cou en l’effeuillant presque sauvagement. Mais il restait sage, intimidé, comme ébloui par ce regard d’océan qui cherchait à saisir le sien. La pauvre femme ne savait plus que faire pour l’attraper, lui sauter au cou pourrait paraître inconvenant. Elle n’avait pas l’habitude de ce genre de chose, elle pensait qu’il la prendrait pour une de ces femmes occidentales qui recherchent les aventures exotiques pour mettre du piment dans leur vie. Elle était de ces femmes d’un seul amour, d’une seule relation, fortes de ne désirer que celui qu’elles veulent épouser. Mais le désir se voulait plus intense, n’y tenant plus elle laissa tomber le stylo qu’elle tenait, en galant homme il se baissa pour le relever. Profitant de pouvoir atteindre sa nuque, elle l’enlaça et le couvrit de baisers sur les lèvres, les joues, le cou en s’accrochant des deux mains. Il fut surprit, un moment on aurait dit qu’il refusait cette étreinte, elle se sentit honteuse. Puis il la prit par les hanches et la souleva jusqu’à sa bouche pour la dévorer des lèvres et de la langue. Ce fut une étreinte fascinante pour l’un et l’autre. Elle ne se rassasiait pas de ses « gourmandises » goûteuses à souhait dont elle avait rêvé pendant des jours et dont elle avait été privée depuis la mort de Edwin. Elle en oubliait les patients qui nécessitaient sa présence, de même qu’elle oubliait la présence du personnel qui semblait se réjouir de ces effusions spontanées. Lorsqu’elle descendit de se tendre perchoir, elle lui prit la main et l’emmena vers la chambre de garde. Elle se rua sur lui en lui ôtant un à un ses vêtements. Saïd n’était pas un « Casanova » il ne savait pas s’il était le jouet d’un caprice ou celui d’une réelle passion.

    -- Tu es sure que c’Est-ce que tu veux ? questionna-t-il presque ingénument.

    -- J’en rêve depuis longtemps Saïd, tu hantes mes pensées depuis le premier jour!

    -- Ah bon ! Pour moi aussi, c’est pareil !

    -- Alors viens, au lieu de palabrer !

    Ils se prirent l’un l’autre sans que l’un ou l’autre ne dominât la situation, ils se conjuguaient, ils communiaient sans savoir ce qu’il en résulterait après leurs assauts. Peu leur importait, ils jouissaient de l’instant ils avaient tout le temps de s’inquiéter de leur avenir commun ou séparé.

     

    FIN ( Blessures Africaines) Août 2010.






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