La route qui menait à Kwamassa s’éternisait d’écueils en rochers ne cédant leur place qu’à quelques monticules de sable ou les pneus s’enlisait sournoisement tous les 5 à 10 kilomètres. Il fallait ajouter la fatigue causée par la lourdeur de ce soleil africain auquel seuls les autochtones peuvent s’habituer. Henri peinait à maintenir en place les caisses de médicaments qui dansaient au rythme des chaos depuis le départ d’Abidjan. Ahmed, quant à lui, demeurait presque imperturbable au volant de cette Land Rover qu’il parvenait à entretenir depuis plus de vingt ans en dépit des nombreuse péripéties qu’il lui avait infligées.
-- Fais bien attention aux ampoules ! « s’exclama Anita, en s’adressant à Henri, son jeune protégé.
Henri n’avait que dix ans quand ses parents appauvris par la construction du barrage dans lequel son village avait été englouti, s’étaient trouvé démuni avec leurs 6 enfants encore petits, c’est alors que Victor et Alice avaient du placer Henri à l’orphelinat en attendant peut-être des jours meilleurs. Mais la vie ne s’était pas arrangé pour cette famille démunie. Victor avait été écrasé par un poids lourd et Alice ne pouvait plus faire face. Par bonheur telle un cadeau de la providence, Anita était arrivée. Cette Canadienne née en Alberta avaient bénéficié d’une instruction d’abord dans son pays à Calgary puis à Montréal dans un collège français pour terminer à New York où elle avait rencontré Edwin, son mari.
Les jours s’écoulaient merveilleusement bien pour Edwin et Anita, elle travaillait à l’institut du monde médical alors qu’elle venait d’obtenir sa maîtrise avant d’avoir son doctorat et lui occupait un poste de responsable au sein d’une équipe de service d’ordre auprès des personnes importantes et plus particulièrement des politiques de son pays d’origine, l’Afrique du Sud. Hélas le député William Helder, devait retourner à Johannesburg emmenant avec lui son équipe de protection. C’est alors que, contre toute attente Edwin demanda la main d’Anita qui accepta spontanément et le couple déserta l’Amérique pour l’Afrique. Ce fut, un jour de novembre que quelques insurgés qui n’avaient pas oublié les tortures infligés par le commandant Helder à l’époque de l’Apartheid attaquèrent sa limousine. Tel un héros à la Harrison Ford, Edwin se coucha sur le député et prit la balle qui lui était destinée. Il mourut la nuit suivante sans s’être réveillé. Anita se mit à dépérir de semaines en semaines, puis de mois en mois jusqu’au coup de téléphone d’un ami médecin du monde en Côte D’Ivoire qui sollicitait son aide. Après quelques hésitations elle pensa que la vie l’attendait ailleurs qu’en cet endroit sinistre où elle ne pouvait plus rien recevoir et encore mois donner.
Elle n’était pas là depuis deux semaines que Henri lui apparut au dispensaire. Il saignait du genoux, cela pouvait sembler sans gravitée mais la lèpre s’étendait à quelques kilomètres de là et on ne devait négliger la moindre infection. Elle le soigna avec attention, le garçon était attachant, plein d’esprit et de bon sens, apprenant qu’il était orphelin, la jeune femme le recueillit sans prendre même la peine d’y réfléchir. Il représentait à lui seul une raison de vivre, de se battre, d’avancer un peu plus chaque jour. Henri allait à l’école tous les jours , mais chaque fois que l’occasion se présentait, il se portait volontaire pour accompagner sa « mother » comme il l’appelait, dans ses déplacements.
Ahmed, commençait à montrer des signes de fatigue, pourtant le chemin à parcourir ne tirait pas encore à sa fin. Henri voulait reprendre un peu d’eau mais Anita lui fit signe qu’il fallait économiser, il ne restait plus qu’une seule gourde. Chacun prenait son mal en patience, la jeune mère se disait qu’elle avait malgré tout de la chance d’avoir rencontré ce gamin courageux et volontaire, qui ne se plaignait jamais en dépit de la chaleur , du manque de confort et des douleurs occasionnées par la rudesse du trajet. Elle revoyait les enfants gâtés de Manhattan ou ceux de Greenwich Village qu’elle avait soigné lors de son internat, geignant pour le moindre bobo, ou refusant les médicaments qui se semblaient pas à leur goût. Elle avait pu voir aussi tant de différences entre ces deux mondes en un même pays, l’Afrique du Sud, les blancs des beaux quartiers nantis d’une abondante instruction, nourris comme les enfants d’Amérique et ceux des faubourgs de Johannesburg qui ne bénéficiaient que d’une instruction élémentaire et qui devaient exercer des petits boulots pour parvenir à se nourrir et contribuer aux nécessités de la famille. Même si l’Apartheid était terminé depuis quelques années, l’injustice sévissait malgré tout. Elle n’avait pas gardé la moindre haine envers ceux qui avaient tué son mari, il n’avait fait que son travail en protégeant celui qui avait engendré tant de souffrances. Quelle ironie que de voir un homme si juste, si généreux mourir pour sauver la vie d’un tyran qui méritait peut-être ce qu’Edwin lui avait évité.
La route retrouvait peu à peu des aspects civilisés. Le goudron s’avérait moins rare et l’on sentait moins les assauts causés par les aspérités agressives de cette voie interminable. Tout à coup Ahmed freina brusquement, le choc était si rude que Henri heurta la barre du siège d’Anita qui, quant à elle manqua de justesse d’embrasser la boite à gants. Plongeant son regard à travers le pare-brise, elle vit l’homme allongé sur la chaussée que son chauffeur venait de manquer de peu. Baignant dans une mare de sang, il semblait évanoui ou même pire. Ses traits n’accusaient guère plus de vingt cinq ans. Anita descendit pour lui porter secours, demandant à Henri de lui passer le sac de secours. Ahmed la secondait. Ils n’eurent pas le temps de se pencher que déjà un groupe armé les tenait enjoue tandis que l’homme à terre se relevait sans le moindre mal. Anita et Ahmed comprirent qu’on leur avait tendu un piège. Henri ne se rendait compte de rien ou du moins en donnait-il l’impression. Les quatre hommes armés qui les tenaient au respect avaient le visage masqué par un foulard kaki alors que l’autre, qui semblait leur chef, arborait un sourire suffisant, comme s’il venait de coincer des ennemis redoutables. Anita qui commençait à connaître ce pays déchiré reconnu ce visage que l’on pouvait voir sur tous les murs du pays. On lui prêtait la réputation de sauvage et cruel qui, paraissait-il, infligeait des tortures et assassinait sans le moindre scrupule, il s’appelait Nasir Touera. Sans lâcher un mot il dévisageait la jeune femme qui répondait d’un regard agressif. Pétrie d’angoisse, elle n’en voulait rien montrer, il n’était pas question de lui offrir ce plaisir. Henri avait quitté la voiture pour venir se blottir près de sa mère, Anita parcourait ses cheveux comme pour l’apaiser. Ahmed, lui, affichait son air habituel de vieil homme sage, imperturbable, l’expérience lui ayant appris que rien ne pouvait changer le destin, la mort au moment où Allah l‘aurait décidé, songeant alors que son heure était peut-être venue, il devait s’y résoudre. De longs et lourds instants s’écoulèrent. Anita préférait ne pas imaginer le pire, son statu de médecin lui permettait de croire qu’on aurait besoin d’ elle, elle s’inquiétait pour Henri qu’on pouvait juger trop encombrant. Elle pensait à Ahmed que l’on pouvait considérer comme traître asservi à la doctoresse blanche. Le chef des rebelles savourait son triomphe, se délectant de ces instants qu’il savait angoissants d’incertitude pour ses otages. Au bout d’un quart d’heure de silence il ordonna qu’on sépare le chauffeur des deux autres prisonniers. Anita monta à bord d’un camion réformé de l’armée alors qu’Ahmed fut poussé dans la Land Rover duquel il prit le volant sous la menace d’un revolver sur la tempe que lui braquait l’un des rebelles. Eprise d’un courage mêlé de curiosité, Anita s’engagea:
-- Qu’allez-vous faire de nous ?
-- On va bien voir ! ( répondit sadiquement le chef)
-- Vous n’avez pas besoin du petit, vous pourriez le relâcher dans le premier village, on me connait ici, et je vous jure que personne ne tentera rien contre vous !
-- Alors comme ça vous pensez qu’on veut vous prendre en otage ?
-- Ben je croyais oui !
-- Vous êtes américaine ?
-- Non canadienne !
-- Donnez-moi votre passeport !
Il éplucha les papier que la doctoresse lui tendait et esquissa une moue, puis reprit :
-- Votre passeport n’est pas canadien, vous venez d’Afrique du Sud !
-- Mon mari était de Johannesburg mais moi je suis née au Canada !
-- Vous mentez ! Vous appartenez à ces racistes de l’Apartheid et vous vous êtes enfuie !
-- Pas du tout je suis arrivée en Afrique du sud et mon mari est mort là bas, je suis médecin on m’a appelé ici !
-- Sale garce tu mens pour sauver ta peau, vous les blancs vous êtes tous pareils, la domination, en Amérique ou en Afrique du Sud , tous les mêmes, garder tous les privilèges et vous venez vous installer ici pour continuer votre colonisation.
-- Je suis là pour soigner tous ceux qui ont besoin de moi, je ne me soucie ni de race, ni de politique, ni même de ce pourquoi vous vous battez!
-- On se bat contre la tyrannie de ce président corrompu par des gens comme vous, français, américains, canadiens, anglais, tous des blancs colonialistes.
-- Il me semble que la colonisation est finie depuis longtemps ! Je crois que tout le monde a compris que l’Afrique doit acquérir son indépendance mais vous avez des besoins scolaires et médicaux, mes collègues et moi sommes là pour ça !
-- Vous vous croyez plus intelligents !
-- Non ! Je préfèrerais qu’on vous permette d’acquérir l’instruction et que vous puissiez faire des études pour vous suffire à vous seuls!
-- Ici ceux qui vont étudier en Europe ou en Amérique, dès qu’ils ont eu leur diplôme préfèrent rester sur place , ils savant qu’il gagneront mieux leur vie, pas fous !
-- Je sais, votre pays manque de structure et cela n’attire guère les gens de venir se perdre dans la brousse!
-- Tous les bons médecins sont dans les cliniques privées de Abidjan et Yamoussoukro ou encore Bouaké et Bondoukou. Mais dès qu’on sort des agglomérations ya plus que des dispensaires dirigés par des colons blancs.
-- Les blancs ne sont pas des colons, ils sont là juste pour vous aider !
-- C’Est-ce qu’on dit toujours ! Seriez-vous ici si vous n’étiez pas si bien payée ?
-- Je reçois juste un dédommagement de l’ONG, pas un véritable salaire, juste de quoi faire face à mes frais, mais je ne m’en plains pas. Je sais que c’est bien plus que n’importe lequel d’entre vous !
--Vous mentez encore, les médecins blancs gagnent plus de 8000 euros, sans compter les primes !
-- Je crois que vous confondez avec ceux de l’OMS !
-- Parce qu’il y a une différence ?
-- Oui, ils sont payés par l’ONU, nous sommes indépendants, notre organisme se finance seul en grande partie grâce aux dons et nous ne disposons pas de beaucoup d’argent.
-- Mais vous faites de la politique !
--Comment ça ?
-- Vous ne soignez que les blessés et les malades qui soutiennent le gouvernement pour raisons politiques !
-- Jamais de la vie ! Nous sommes là pour tous ceux qui ont besoin de nos soins. Nous ne sommes pas ici pour satisfaire à la volonté de tel ou tel parti politique. Ce qui se passe chez vous n’appartient qu’à vous, nous n’avons pas à prendre parti !
-- C’est bien ce qu’on vous reproche ! Vous vous foutez de notre cause !
-- Et c’est quoi votre cause ?
-- Je vous l’ai dit, renverser ce gouvernement corrompu pour le remplacer par une véritable démocratie !
-- Et c’est en tuant, en massacrant, en pillant que vous y arriverez ?
-- Toutes les révolutions se sont faites dans le sang, on n’a pas le choix ! Oh je vous vois venir vous avez la tête pleine de belles théories bourgeoises apprises dans les bouquins, mais ici c’est la jungle, tous les coups sont permis!
-- Ainsi vous prétendez que votre pays est soumis à la sauvagerie et la barbarie, et vous osez me reprochez de vous coloniser , parce que je me comporte de manière civilisée!
-- Vous avez l’esprit pervers ! Vous essayez sournoisement de m’embobiner avec vos théories !
-- Ce n’est pas mon but, j’essaie de vous comprendre ! C’est vous-même qui semblez dire que votre pays est un pays de sauvage sans règle, sans respect des lois et vous reprochez au monde dit civilisé de venir vous donner des leçons de démocratie, vous qui voudriez une vraie démocratie, alors, je ne comprends pas !
-- Non c’est vrai que vous ne comprenez rien ! Vous êtes une blanche !
-- Ah oui j’oubliais, donc je suis forcément coupable de la misère de ce pays , des injustices et de la corruption !
-- Je n’ai pas dit ça, mais vous pensez en colon blanc, vous imaginez le monde avec votre regard de femme civilisée supérieure!
-- Supérieure !
-- Oui , vous avez forcément un esprit supérieur puisque vous dominez !
La voiture s’arrêta devant une sorte de hangar désaffecté. On la fit descendre et une femme vint se charger de Henri.
-- Qu’allez-vous faire de lui !? (s’écria Anita pétrie d’angoisse)
-- Nous ne sommes pas des barbares, personne ne lui fera de mal, ((répondit Touera)
Un homme la saisit par le bras et l’emmena de force dans le fond du hangar On lui lia les poignets en l’asseyant sur une chaise abîmée Devant elle se trouvait une table sur laquelle on avait posé une calebasse, une écuelle remplie de ¨bouillie de maïs Une boite de céréales neuve et une bouteille de coca était placées derrière l’écuelle. Au plafond une ampoule de faible intensité jetait son halo sur le milieu de la table. A quelques mètres de là se tenait un vieux matelas sur lequel on avait disposé un oreiller et une couverture sommaire. En dépit de la vétusté des lieux, l’habitacle n’était pas si inconfortable. Le toit apparent en taule avait été soigneusement plafonné de manière à limiter la chaleur du soleil et empêcher la froidure nocturne. Anita comprit vite qu’on la détenait prisonnière, mais elle ignorait ce qu’on attendait d’elle. Malgré ce que le chef des rebelles lui avait répondu, elle s’inquiétait pour Henri, et se faisait également du soucis pour Ahmed. Elle demeurait cependant persuadée que ces rebelles n’étaient pas aussi cruels que les affiches le relataient. Elle n’ignorait pas qu’en les mentionnant comme dangereux, le gouvernement portait sérieusement atteinte à leur crédibilité. D’un autre côté, les rebelles se servaient de cette image pour imposer une terreur qui leur permettait d’en imposer, mais qu’en était-il exactement ? Anita n’osait croire qu’on la laisserait sortir de là vivante fut-ce au bout de plusieurs semaines. Malgré toutes ces questions et sans grand appétit, elle se résolu à vider son écuelle, pensant que l’urgence était de vivre et qu’Henri avait besoin d’elle. La nuit tombait à l’extérieur, on lui avait délié les poignets, mais la pièce exigüe qui lui tenait lieu d’abri, et se situant à l’intérieur du hangar était solidement fermée par une porte solide et l’étroite fenêtre donnant sur l’extérieur laissait apparaître des barreaux scellés derrière la vitre. De toutes façons Anita ne se serait jamais enfuie en laissant Henri dans l’habitation de la ferme où la femme l’avait emmené, on avait d’ailleurs pris la précaution de les séparer dans cette optique. La nuit s’allongea dans l’inquiétude et l’inconfort. Elle finit néanmoins par s’endormir jusqu’à l’aube. A six heures, heure qu’affichait sa montre, on vint lui apporter du lait de chèvre pour accompagner ses céréales, et une orange. Elle se dit que des gens ayant un tel soucis de respecter une partie de son breakfast traditionnel ne pouvaient pas être mauvais. Elle avala une écuelle de céréales et son orange dans la foulée. Pour les commodités elle aperçut un seau hygiénique qui devait déjà se trouver là en arrivant mais que l’obscurité l’avait empêché de voir. En dehors du préposé à la nourriture personne ne la visitait. Elle trouva le temps infiniment long quand arriva le soir. A l’idée que cela pourrait durer des semaines, voire plus, elle commença à redouter son futur état mental tout en se demandant comment elle allait occuper ses journées interminables. La journée suivante se déroula à l’identique, ne croisant que celui qui venait lui apporter la nourriture en la débarrassant de son pot de chambre pour le vider pour le rapporter aussitôt. Sur le plan matériel elle bénéficiait de l’essentiel, sans doute avait-on donné l’ordre de lui accorder le nécessaire pour la conserver en bon état. Il s’écoula ainsi trois jours durant lesquels personne ne lui rendit visite. Le soir du troisième jour, son geôlier lui signifia qu’il devait l’emmener voir le chef. Eprise d’une certaine inquiétude, elle se rassurait en pensant qu’elle aurait enfin des nouvelles de Henri. Personne ne lui avait donné la moindre nouvelle, quand à Ahmed, elle ignorait totalement où l’on avait pu le transporter. Il faisait encore jour quand elle sortit du hangar et le pourpre du soleil couchant agressait son regard bleu désaccoutumé à la lumière du jour. Anita ne quittait pas son guide, s’accrochant à ses brodequins comme si elle eut craint de se perdre lors des quelques pas qui la rapprochaient de l’habitation. La bâtisse était vaste et dépouillée. Les murs vides et gris où les toiles d’araignées faisaient office de tapisserie montraient qu’on ne devait mettre souvent les pieds dans ces lieux hostiles. On lui fit signe de traverser la cuisine mal odorante et longer un couloir sombre afin d’atteindre la chambre dans laquelle se tenait Touera. Affalé dans un fauteuil il lui donna l’ordre de s’asseoir, ce qu’elle fit machinalement.
-- Pas trop fatiguée ? ( demanda-t-il sans se soucier de la réponse)
-- Un peu, mais ça n’a pas d’importance, je veux voir mon fils !
-- Ton fils ! Tu veux parler du gamin noir
-- il s’agit de mon fils, je l’ai adopté !
-- oh je vois, on adopte des pauvres petits noirs par charité chrétienne sans doute !
-- Pff ! Je n’ai même pas envie de vous expliquer ….
-- Oui je sais je ne suis qu’un nègre non civilisé …
-- C’est une obsession chez vous de prendre tous les blancs pour des colonialistes dominateurs et tyranniques ? Il faut vous réveiller, on est au vingt et unième siècle .
-- Vous croyez vraiment que tout a changé ? Que les blancs ne sont plus blancs et que les noirs ne sont plus noirs!
-- je crois surtout qu’avec des gens comme vous le monde ne risque pas de changer.
-- Madame voudrait m’enseigner la justice, l’égalité toutes les belles théories qu’on apprend dans les bonnes écoles dirigées par les blancs.
-- Je ne veux rien vous enseigner du tout, d’ailleurs je ne cherche même pas à vous convaincre, je veux voir mon fils Henri un point c’est tout !
-- Vous n’avez rien à exiger du tout, ici c’est moi qui commande , alors ne prenez pas vos airs supérieurs avec moi.
-- Et moi je vous prie de ne pas me parler sur ce ton, allez me chercher mon fils , je vais finir par perdre patience.
-- Vous le verrez quand je l’aurais décidé !
-- Ah ! Vous êtes ridicule avec vos airs de sale gamin qui aurait décidé de jouer les petits chef juste pour se placer au dessus de la mêlée.
-- ça suffit ! ( il lui flanqua une gifle si puissante qu’elle en perdit l’équilibre.
Cela ne l’intimida pas davantage , c’est du moins ce qu’elle s’efforça de feindre. Elle répliqua :
-- Ah voilà , gifler une femme, c’est votre façon de montrer votre puissance, et votre autorité ! Vous êtes pitoyable !
-- Je n’ai rien à foutre de votre condescendance ! Maintenant vous allez faire ce que je dis ou vous entendrez le coup de feu qui tuera votre fils.
-- Vous n’êtes pas un assassin !
-- C’Est-ce que vous croyez, si vous saviez le nombre de mecs que j’ai descendus !
-- Des hommes ! Et des enfants, vous en avez tué combien ?
-- Vous pensez que je n’en serais pas capable ? Si cela est nécessaire je n’hésiterais pas !
-- Je crois que vous êtes capable du pire, cependant vous agissez selon des convictions plus ou moins discutables mais vous ne seriez pas prêt à sacrifier un enfant innocent pour satisfaire à votre cause.
-- Vous croyez que les enfants sont innocents ?
-- Bien sur !
-- Alors vous êtes bien naïve ma petite dame !
-- Pourquoi ! Les enfants sont purs, ils ignorent la violence, ils ne se rassasient pas du sang des autres et ne se soucient pas de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour assouvir une soif de vengeance!
-- Détrompez-vous, ils ont ça en eux et s’ils ne le font pas c’est que les occasions ne se présentent pas , il suffit qu’on tue l’un de leur proche et le diable s’éveille en eux et n’en sortira jamais !
-- vous avez une bien triste opinion des enfants, sans doute n’en n’avez vous as eu !
-- J’en ai une dizaine, pour ne parler que des légitimes !
-- Je plains leur mère !
-- Elles ont tout ce qu’il leur faut , je donne tout l’argent nécessaire pour subvenir à leurs besoins et à ceux des enfants !
-- Ah oui , pour vous ça se limite au fric ! Décidément …
-- Vous ne pouvez pas comprendre ….
-- Oui je sais je ne suis qu’une conne de blanche , Bla, Bla, Bla …
-- Je veux dire ici les enfants ne s’élèvent pas comme dans vos pays de riches, ils apprennent vite à se débrouiller tout seul !
-- Cela ne les dispense pas de leur besoin d’amour !
-- Arrêtez d’employez des expressions de Bourgeois blancs .
-- L’amour est universel, si vous ne l’avez pas compris je vous plains. Vous avez du beaucoup souffrir !
-- Voilà encore un concept d’occidentaux, faire de la psychanalyse !
-- Je ne vous psychanalyse pas, j’essaie de vous comprendre, le manque de compréhension voilà bien la cause essentielle de tous les conflits!
-- Arrêtez de dire n’importe quoi !
-- Alors allez me chercher mon fils ! D’ailleurs je ne sais même pas ce que je fais là à part discuter avec le plus borné de tous les hommes que j’ai pu rencontré.
-- Oh vous m’emm… Emile va chercher le petit !
-- Je vous remercie ! Vous allez peut-être me dire ce que je fais ici et pourquoi m’avoir fait passer ces trois jours dans ce trou à rat !
-- vous êtes mon otage !
-- parce que vous croyez qu’on se soucie de moi en haut lieu ?
-- pour l’instant non, mais dès qu’on saura que j’ai avec moi un médecin du monde.
-- vous savez je suis interchangeable, ils en mettront un autre à la place !
-- il faudrait qu’ils en trouvent d’aussi jolies
-- je vous remercie du compliment mais je ne pense pas que cela ait la moindre importance, je suis médecin et non top model.
-- détrompez-vous, à vous seule vous représentez la meilleure pub pour l’image de votre ONG. Votre hiérarchie n’ignore pas l’impact que vous pouvez avoir sur les donateurs . En voyant votre photo sur les brochures et les magazines , ils sont plus enclins à mettre la main au portefeuille qu’en écoutant de longs discours relatant les besoins et les fondements de l’ONG.
-- vous accordez trop d’importance à ma petite personne !
-- Vous croyez ! Alors regardez !
Il lui tendit un magazine sur lequel une photo d’elle était en couverture sur laquelle on avait ajouté le titre suivant : la nouvelle génération de médecins du monde . Puis la légende disait : Anita Johnston, médecin qui donnerait envie de s’engager. En feuilletant les pages du magazine on pouvait voir des photos d’elle extraites d’une soirée de bienfaisance, puis une ancienne photo en bikini qu’un ancien petit ami avait du vendre au magazine. Anita n’en croyait pas ses yeux. A l’idée que l’ONG utilisait son image pour attiser la générosité des donateurs l’écœurait. Elle se trouvait reléguer à l’état de mannequin faisant la vitrine d’une bonne œuvre. Nulle part il n’était question de ses diplômes, ses états de service en Afrique Du Sud ni de ce qu’elle avait accompli ici en Côte d’Ivoire. Ce qui intéressait les lecteurs, à en croire le journaliste , se limitait à la beauté des traits de son visage, aux courbes harmonieuses de son corps et la grâce de ses mouvements. D’autres auraient pu se sentir flattées de ce qui ressemblait à une sorte d’hommage à sa beauté, elle en revanche se sentit dévalorisée, humiliée presque prostituée à la cause aussi noble fut elle. Touera bien qu’admiratif des photos qu’il avait sous les yeux, partageait l’indignation de la jeune femme, bien que ne la connaissant que depuis peu, il avait déjà su discerné chez elle une force de caractère, une volonté, un courage et une conviction qui forçaient l’admiration. En larguant la revue sur le bureau, il laissa échapper :
-- Ces photos sont belles mais elles ne vous rendent pas justice !
-- Je vous remercie, mais je ne me suis pas engagé pour être top model
-- Mais je parlais de ce que vous êtes vraiment, c’est aussi pour ça que je pense qu’ils seront prêts à mettre le paquet pour vous retrouver saine et sauve.
--Alors ce n’est que ça, je suis une valeur marchande pour vous !
-- J’aurais aimé débattre des droits et de la dignité des femmes avec vous, mais on n’en n’est plus là. Il nous faut du fric, beaucoup de fric, le mouvement s’estompe et la tyrannie a reprit du terrain, il nous faut des armes et des alliés en Europe et en Amérique pour gagner le combat.
-- C’est un combat perdu d’avance, toutes les puissances soutiennent votre gouvernement, les enjeux économiques sont importants, plus que les désirs idéalistes d’une poignée de rebelles.
-- Pur quelqu’un qui ne fait pas de politique, vous avez l’air d’être au courant.
-- Je le suis par ceux que je côtoie, des militaires blessés par vos hommes, des familles innocentes, et un certain nombre d’entre vous que j’ai vu mourir dans mes bras. Votre combat n’est qu’un leurre et beaucoup d’entre vous vont mourir , et pourquoi ?
-- Vous et tous les blancs de vos grandes puissances vous nous prenez pour des bandits, des petits nègres utopistes ou assoiffés de sang , alors que nous sommes des révolutionnaires, des combattants de la liberté !
-- Nous y voilà hein ! Vous voulez prouver au monde que vous existez , que l’Afrique est un grand continent en faisant parler les armes. Mais bon sang montrer leur ce que vous avez dans le cœur et dans l’âme. Créer un parti. Organisez des manifestations ! Utilisez tous les moyens modernes pour vous faire connaître et défendre votre cause.
-- Vous parlez comme une pacifiste idéaliste, une étudiante à qui on aurait lavé le cerveau pour la rendre passive, stérile. On croirait entendre votre président.
-- Quel président ?
-- Celui des USA
-- Mais je suis Canadienne, je vous l’ai dit.
-- Ha ! Ha! Ha! Ha! Vous parlez d’une différence, il y a belle lurette que le Canada est devenu un état annexe des Etats Unis, il n’y a guère que vous pour l’ignorez encore.
-- Et c’est moi qui suis idéaliste ! De nous deux ce n’est pas moi la plus naïve. Ce n’est pas moi qui suis intoxiqué par je ne sais quels marchands d’armes ou faiseurs de guerre. Demandez-vous à qui profite votre soit disant révolution. Demandez vous qui a intérêt à ce que le désordre règne sur ce continent. Demandez vous aussi ce que vous deviendrez ce qu’il adviendra de vous et de vos partisans quand le gouvernement de ce pays sera renversé.
-- Que voulez-vous dire ?
-- Il y a certainement un pays , une puissance ou tout simplement un lobbying quelconque qui vous manipule pour arriver à ses fins. Je ne connais pas vos interlocuteurs mais cherchez et vous verrez.
-- Vous pensez m’avoir comme ça !
-- Pensez ce que vous voulez, mais je sais que l’argent que vous obtiendrez ainsi ne servira ni votre cause, ni ce pays et encore moins le peuple. Ecoutez moi je ne suis là que pour soigner. Croyez-vous que j’aurais intérêt à vous berner, je me demande bien pourquoi.
-- Pour sauver votre peau tout simplement.
-- Parce que vous aller me tuer !
-- S’il le faut, je devrais le faire!
-- Vous n’êtes pas un assassin !
-- Pourquoi dites-vous ça ? Vous ne me prenez pas au sérieux, c’est ça ! Je ne suis qu’un hurluberlu pour vous !
-- Pas du tout vous êtes un homme décidé, un homme persuadé de faire le bon choix qui ne peut se résoudre à tuer que s’il se croit vraiment obligé de le faire, ma mort ne vous servira en rien. On fera de moi une martyre et le monde vous haïra. Curieuse façon de rendre votre mouvement populaire !
-- Vous avez peut-être raison ! Bon maintenant laissez moi !
-- Pas avant d’avoir vu mon fils !
-- Ah oui c’est vrai ! Il vous attend à côté, je vous laisse un quart d’heure et ensuite on vous reconduira là bas!
-- Pourquoi ne puis-je pas rester ici avec lui ?
-- Tant que vous serez séparés, j’obtiendrais ce que je veux !
-- Même si je vous promets de ne rien tenter !
-- Désolée, ma petite dame, mais la confiance de nos jours …. Vous savez!
-- Puis-je au moins savoir ce que vous avez fait de mon chauffeur !
-- Son sort vous intéresse !
-- Evidemment ! C’est un collaborateur et surtout un ami !
-- Pff ! Un ami ! ….Rassurez-vous il va bien, il est retourné chez lui!
-- Qu’est-ce qui me permet de le croire ?
-- Ma parole, vous pouvez me faire confiance, non !
-- Vous savez la confiance de nos jours ….
-- Je vous l’assure, vous me croyez capable de faire du mal à un vieil homme ?
-- Un vieil homme n’exagérons rien il n’a que cinquante ans !
-- Vous savez en Afrique c’est déjà âgé !
-- C’est vrai, je ne comprends rien à votre culture et Bla, Bla, Bla …
-- Ha ! Décidément, je vous trouve exquise !
-- J’en suis ravie, excusez-moi de ne pas pensez de même à votre sujet !
-- Je m’y ferais ! Allez rejoindre votre …fils, vous n’avez que quinze minutes !
Elle emprunta le couloir juste le temps de quelques pas et pénétra dans une chambre obscurcie par la nuit qui descendait peu à peu. En la voyant arriver Henri quitta le banc où il était pour se jeter dans ses bras. Anita se sentit rassurer en constatant qu’on ne l’avait pas touché. Elle le serrait très fort contre elle , ce moment représentait à lui seul le plus magique de ces derniers jours et peut-être même depuis sa rencontre avec cet enfant qu’elle considérait toujours comme une bénédiction. Sans vouloir le harceler de question, elle lui demanda s’il avait été bien traité, s’il n’avait pas faim ni soif, s’il n’avait pas peur. Contrairement à toute attente le garçon semblait bien se porter, ne subissant pas le moindre traumatisme. Mais les quinze minutes s’écoulèrent trop rapidement et après avoir caressé et enlacé à nouveau son fils, Anita dut regagner sa geôle dans le contrainte.
Une journée s’était écoulée depuis son entrevue avec le chef et ses retrouvailles avec Henri, Anita se sentait toujours abandonnée dans cette cabane sordide. Les journées qui suivirent se ressemblaient un peu trop, Omar, son gardien qui avait daigné lui accorder la faveur de ne connaître que son prénom, lui apportait sa nourriture invariablement composée de bouillie de maïs ou de ragoût de viande indéfinissable, accompagné d’un soda. Seul le petit déjeuner ressemblait à son breakfast habituel à quelques nuances près. Elle ignorait tout du sort qu’on lui réservait comme elle ignorait si une rançon avait été versée, comme elle ignorait également à quel point sa hiérarchie tenait à elle. Elle se rassurait en songeant que son ravisseur n’était pas un homme cruel mais une sorte d’idéaliste en mal de reconnaissance, ce qui l’empêcherait peut-être de la tuer. Elle pensait surtout à Henri, son fils, qui n’était pas de sa chair mais qui faisait désormais partie d’elle-même en représentant à ses yeux la plus belle raison de vivre depuis la mort d’Erwin. Son cœur, son esprit, les pores même de sa peau transpiraient l’existence de cet enfant fragile aux réactions d’adultes. Il détenait plus de sagesse qu’elle. Il ressentait les choses avant de les avoir constatées. Il savait agir quand il le fallait, et trouvait les solutions immédiates aux petits problèmes. Il n’éprouvait pas la moindre rancune vis-à-vis de ses parents qui l’avaient abandonnés à la charge d’Anita.. Sans soumission mais avec philosophie, il acceptait les situations qui se présentaient comme si elles émanaient de la volonté de Dieu. Comme tout enfant il lui arrivait de commettre quelques bêtises pour lesquelles Anita se faisait un devoir de le réprimander, il acceptait sans broncher la sentence qu’elle lui infligeait, davantage par volonté de s’améliorer que par résignation. Anita se félicitait de l’avoir rencontré en réalisant vraiment en ces instants où il lui manquait tant à quel point elle ne vivrait plus sans lui, décidée à remplir les formulaires d’adoption dès qu’elle serait sortie de ce cauchemar. Elle n’ignorait pas combien il lui serait difficile de remplir les conditions, étant veuve et sans expérience maternelle. De plus il lui restait à définir le lieu où ils allaient vivre. Retournerait-elle auprès de sa famille au Canada, où aux Etats Unis là où elle avait inscrit ses habitudes à moins de rester dans cette Afrique qui l’avait adoptée comme l’une des leurs. Sa capacité d’adaptation et sa maîtrise parfaite de l’anglais et du français lui ouvraient l’accès à ces différents pays, mais qu’en était-il de son envie et de celle d’Henri avec qui il lui fallait à présent compter pour toutes les décisions à prendre.
Elle songeait aussi à Ahmed, compagnon des bons et des mauvais jours qui lui avait tout appris de ce pays aux allures sauvages par l’aridité de ses terres en dépit de quelques hectares de verdure qu’il réservait, par sa faune aussi noble que dangereuse, mais surtout chaleureux par ses habitants quasi insouciants ne se préoccupant que de l’instant présent et des nécessités immédiates de leurs enfants. Il lui avait enseigné aussi la prudence et l’humilité dont elle devait faire preuve pour aborder tous ceux qui nécessitaient son attention et ses soins. Si l’esprit colonial avait pratiquement disparu depuis une ou deux décennies, le souvenir restait gravé dans tous les esprits et la méfiance du médecin blanc était encore ressentie comme une présence inquisitrice et arrogante. Cependant Anita bénéficiait d’une sorte de grâce, nantie d’une spontanéité et d’une simplicité qui la rendait naturellement accessible, elle possédait le don d’être aimée et respectée par tous. Ahmed l’admirait pour ça, il en avait vu défiler des médecins de partout , il leur fallait généralement dix à vingt quatre mois pour se faire élire par l’ensemble de la population alors que deux jours avaient suffi pour qu’on l’accueille comme une amie, une sœur. Elle lui rendait bien cette affection, il représentait son parrain, son mentor. Il la secondait non seulement pour ses déplacements mais également dans les soins, les vaccins, les interventions lorsque l’urgence et la distance l’obligeaient à opérer sur place même si elle n’avait pas les qualifications de chirurgien. Ce pays ne s’encombrait pas de réglementations lourdes et fastidieuses, seule importait l’urgence et le soucis de sauver sans risque de se voir conduire au tribunal. Le vieil homme lui était indispensable tant pour ses compétences professionnels que pour ses conseils avisés. Où se trouvait-il à présent, devait-elle croire sur parole Nasir quand il lui certifiait qu’on l’avait déposé chez lui. N’était-il pas devenu un témoin encombrant qu’ils avaient éliminé pour éviter tout danger d’être reconnu. A cette pensée, la jeune femme se mit à sangloter. Son thorax se compressait d’angoisse et d’horreur. Non, se tranquillisait-elle soudain, cet home n’est pas un monstre, il ne tuerait pas un innocent pour cela. Mais l’instant d’après lui rappelait qu’il avait du sang sur les mains et qu’il lui avait précisé que les sacrifices étaient parfois nécessaires pour servir la cause. Cela impliquait-il la mort d’un homme pacifique et sage à qui on ne pouvait reprocher que sa présence au moment de son enlèvement ? Après tout que savait-elle de ce Nasir Touera , peut-être était-il aussi fourbe que tous ceux qu’il accusait de tromper son peuple. Sa quête de justice pouvait n’être qu’un leurre servant à masquer une simple cupidité, une soif d’argent facile dont elle constituait le principal instrument. Il ne lui resterait qu’à supprimer tous ceux qui le dérangeraient par la suite. Décidément cette captivité ne parvenait qu’à nourrir l’angoisse et la peur sans fondement réel. Elle se résolut à s’ouvrir à des pensées plus positives, se motivant à l’idée qu’elle infligerait à ceux qui l’avaient abaissée à une image de jolie poupée aguichante, une cinglante lettre ouverte dut-elle en perdre son poste et ses futures attributions. Dans son esprit c’était bien décidé, elle leur flanquerait ses vérités à leur « sale gueule de machos » Elle dont la seule coquetterie s’appliquait à sa chevelure rousse d’origine qui lui valait ce teint blanc et ses tâches discrètes sur le visage. Son enfance avait été éperonnée d’injures et de sarcasmes nanties de toutes les métaphores douteuses pour railler cette chevelure aux couleurs automnales. Il en résultait un complexe indélébile qu’elle avait étouffé en travestissant cette chevelure coupable. Cela constituait son seul écart d’artifice. Elle s’était toujours contentée de ce qu’on lui offrait. Au temps de l’abondance elle se gratifiait de belle lingerie, de toilettes en robes parfois somptueuses, aux chaussures de différents types des ballerines modestes jusqu’aux escarpins vernis en passant par son péché mignon les bottes. Mais après la mort d’Erwin les revenus devinrent moins conséquents elle ne renouvela que très peu sa gare robe et depuis son arrivée en Côte d’Ivoire elle se limitait aux vêtements de rigueur, jeans , shorts, teeshirts et sandales. Aussi ne se sentait-elle pas démunie dans cette cabane où le luxe ne lui faisait guère défaut. Certes elle aurait aimé qu’on lui apportât un miroir afin de voir de quoi elle avait l’air et se rendre un peu plus présentable, du moins à ses yeux. La cuvette et le broc qu’on lui amenait une fois par jour ne suffisaient pas pour satisfaire un une hygiène correcte mais ils lui permettaient néanmoins de se rafraîchir le visage et les parties intimes. D’ailleurs sa préoccupation favorite ne s’orientait pas vers l’hygiène mais bien plus vers la liberté de retrouver ceux qu’elle aimait en commençant par Henri.
Il faisait lourd dans ce réduit sans aération, qu’une odeur nauséabonde arrosait de manière régulière. Certes on ne la privait pas d’eau ni de nourriture, Omar y veillait selon les instructions qu’on lui avait donné. Bien que les substances indispensables ne lui fissent point défaut, la douleur de la captivité n’en demeurait pas moins forte. La privation de liberté constituait en toute logique le plus grand inconvénient, mais l’inquiétude vis-à-vis de Henri et Ahmed ajoutaient à cette contrainte comme une plaie ressassant perpétuellement sa souffrance. Et puis le temps qui s’accumulait au fond de ce silence scabreux ne pouvait qu’augmenter les angoisses quant au sort qui lui était réservé. Loin de céder à la panique elle gardait cependant une sorte de plénitude certainement due aux quelques leçons de philosophie Bouddhiste qu’elle avait suivie lors d’un stage à New York avec Edwin. Le Maître leur avait enseigné la maîtrise du stress, le dépassement de soi, ainsi que le survol de l’angoisse afin de s’acheminer toujours vers des sentiers positifs. Evidemment ces quelques heures d’apprentissage de la maîtrise n’influaient que de manière infime sur son caractère, mais le souvenir des paroles apprises l’apaisait vraisemblablement en ces instants pénibles. Elle avait fini par cesser de calculer le temps passé, ignorant alors la durée de sa captivité et le jour présent ne gardant en tête que le mois qui ne devait pas encore se terminer. Elle maintenait pour unique repère ce coin de ciel capturé à travers un trou, d’à peine une dizaine de centimètres, situé dans un angle du mur. Cela lui permettait de distinguer le jour de la nuit. Elle aurait voulu parler, entamer un vrai dialogue, mais elle restait sa seule interlocutrice. Omar n’était pas bavard, c’est tout juste s’il lui adressait un bonjour lors de ses trois interventions quotidiennes. Elle trouvait intéressant de connaître cet homme et ce qui le motivait pour justifier l’obéissance aveugle dont il faisait preuve envers Touera. D’ailleurs elle cherchait les raisons de toute cette violence, comprenant en partie les motifs du rébellion de ces hommes avec qui elle partageait quelques opinions, sans en excuser la violence ni la détention qu’on infligeait à Henri et à elle-même.
Un matin Anita bondit de son lit réveillée par un grondement de camions et les cris des hommes qui semblaient en débarquer. Elle supposa que des renforts arrivaient dans le but de préparer une attaque. Elle ignorait si cela constituait un danger pour elle et ses proches ou si, au contraire elle devait s’attendre à une fin heureuse. Les hommes discutaient en dioula, dialecte qu’Anita avait déjà entendu mais qu’elle ne maitrisait pas suffisamment pour en comprendre la teneur. En dépit des subtilités que renfermait cette langue, elle crut discerner des mots qui devaient la concerner. Elle ne pouvait, hélas, pas en comprendre davantage. Nasir Touera ordonnait-il de la tuer, la libérer, l’interroger, ou bien requérir à ses services pour un combattant blessé, elle l’ignorait.