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Les Furtives :La Fille de Chiraz
26/03/2010 13:48
La Fille de Chiraz
Londres étendait son brouillard légendaire sur les petites rues désertes. Richard Larmand traînait son cafard à travers cette ville qu’il avait bien connue. Après trente ans de bons et loyaux services rendus à sa société, l’heure de la retraite avait sonné. Il l’avait accepté avec soulagement, depuis trois ans que Marie Louise, sa compagne de toujours, son épouse pendant trente cinq ans, s’était évadée vers d’autres cieux à la suite d’un douloureux et interminable cancer. Leur union pourtant fusionnelle n’avait pas enfanté, au grand regret de cet homme pourtant si attentionné envers les enfants. Il repensait à toute cette vie de promesses plus ou moins remplies, de déceptions mais aussi de bonheurs intenses et d’expériences enrichissantes. Il était venu retrouver la capitale britannique pour revivre quelques souvenirs, mais il ne retrouvait plus ces petits coins pittoresques où sévissaient jadis artisans insolites et baladins de toutes sortes. Il errait au hasard de Nelson Street quand une voix enivrante le sortit de sa nostalgie. n Tu viens chérie ! Je vais t’offrir le grand frisson ! Presque inconsciemment il s’entendit répondre n Ok ! Machinalement il la suivit, elle montait gracieusement l’escalier sombre qui la conduisait à la chambre. Une fois arrivés dans la pièce, à la lueur de la lampe qui arrosait son visage il remarqua à quel point elle était belle. Ses traits fins délicieusement ambrés sous un de ces regards de châtaigne qui vous perce l’âme laissaient deviner des origines orientales. Sans attendre elle annonça son tarif : n C’est cent livres ! Payable d’avance ! Il sortit les billets et lui présenta directement dans la main. Il put admirer une bague de jade qui ornait son annulaire droit ainsi que le bracelet en argent qui parait son bras. Elle commença à se dévêtir, elle affichait de savoureux sous-vêtements synthétiques, finement dentelés. Il l’arrêta dans son effeuillement : n Pas la peine ! D’ailleurs je ne sais pas ce que je fais là ! n Tu n’as pas envie de moi ! n Cela n’a rien à voir ! J’aimerais…enfin si tu veux, j’aimerais bavarder ! n Oh ! T’es un drôle de mec toi ! Tu as quel âge, cinquante, cinquante cinq ? n Ha ! Ha ! Ha ! Merci, j’en soixante cinq ! n Waw ! T’es bien conservé ! n C’est ce que tu racontes à tous les vieux sans doute ! n Non ! Je ne dis que ce que je pense ! n Tu as un joli accent, tu viens d’où ? n Bon d’habitude je raconte que je suis petite fille d’un prince déchu de Bagdad, mais à toi je ne vais pas te la faire. Je suis né à Chiraz en Iran. n Et qu’est-ce qui t’a amené là ? n Tu veux dire à Londres ou à faire la pute ? n Les deux ? n Pourquoi veux-tu savoir ça ? n Oh ce n’est pas un interrogatoire, ni un interview. Tu réponds si tu veux. n T’es très curieux toi ! n C’est indiscret de s’intéresser à toi ? n Un peu ! Mon père voulait me marier de force, je me suis enfuie. J’ai traversé la France et puis je me suis embarquée clandestinement pour l’Angleterre. En arrivant je n’ai rien trouvé, je ne savais faire que des ménages , on m’a dit que j’étais belle, que j’aurais du succès auprès des hommes alors voilà ! Pas très glamour hein ? n Tu ne devrais pas faire ça ? n Pourquoi ? n Parce que t’es … n Belle c’est ça ? Donc les moches méritent d’être putes et pas les belles n Ce n’est pas ce que je voulais dire ! Personne ne mérite de faire ça. n Ah bon ! Si t’es là pour me faire des leçons de morale je te préviens que je ne suis pas d’humeur ! n Non ! Ce n’est pas mon genre. n Tu veux qu’on baise ? n Non ! n Dommage ! n Pourquoi ? n Parce que tu as payé et puis…j’ai envie ! n De moi ? Mais je suis trop vieux pour toi ! n Je ne te demande pas en mariage, j’aimerais simplement, te sentir contre moi ! n Désolé mais il y a belle lurette que je ne fais plus rien dans ce domaine ! n C’est physique ? n Même pas ! n Alors viens là je peux t’aider.
Elle lui saisit la main et la passa sur son ventre puis remonta jusqu’à la poitrine et descendit sur la cuisse poursuivant tout au long de la jambe. Richard rougissait comme un adolescent pubère, il éprouvait un sentiment entre gêne et désir. Elle le regardait avec douceur comme si elle voulut initier un petit garçon aux plaisirs de la chair. Elle l’interrogea : n Alors ça te plait ? Tu veux continuer ? n Euh ! Non je ne veux pas continuer ! On pourrait se promener au lieu de rester dans ce réduit. n Si tu veux ! (accepta-t-elle sans hésiter)
Ils descendirent ensemble vers la ruelle qui donnait derrière l’hôtel. Ils empruntèrent la rue qui longeait le quai. Elle le fixa tendrement en lui révélant son prénom « Neïma », il trouvait ça joli, il souriait. Le ciel avait eu la clémence de se libérer des brumes pour leur offrir un azur lumineux. Au bout de quelques mètres elle lui prit la main comme s’il eut été un compagnon, un fiancé. En passant devant les boutiques, elle lui montra un restaurant iranien où l’on servait des Kebabs et des mets typiquement perses. Elle le supplia de rentrer et ils commandèrent des « Hasaz » et des « Kebbirams ». Elle lui racontait comment sa mère préparait tous ces plats qu’elle affectionnait tant. Elle lui présentait sa fourchette pour lui donner la becquée. Ses yeux s’illuminaient en constatant qu’il n’appréciait pas tant ces denrées pour le goût qu’elles détenaient que pour la façon dont on les lui proposait. Neïma semblait heureuse de ces instants, de cette compagnie qui, malgré l’âge qui les différenciait s’avérait tendrement enrichissante pour elle. Parfois, sa main frôlait celle de Richard qui s’empressait de la retirer aussitôt. Elle aurait voulu qu’il la considérât davantage comme une égale, mais lui se sentait mal à l’aise en dépit du plaisir qu’il éprouvait à partager d’aussi délicieux moments en compagnie de cette femme qui avait presque quarante ans de moins que lui. Elle s’en moquait totalement ; tous ses gestes, son regard ainsi que les mouvements de son corps exprimaient le désir de vivre intensément quelque chose d’indéfinissable avec lui. Le repas s’achevait et n’y tenant plus elle se décida à lui exprimer clairement son désir profond : n J’ai envie de toi comme jamais ! n Tu es folle, je suis un vieux… n Arrête ! Tu m’emmerdes avec ça ! Je me fous de ton âge, de ton impuissance ou tes réticences, je te veux maintenant. Je veux te frissonner de ta peau sur la mienne, trembler sous le flot de tes caresses, te sentir au plus profond de moi et m’endormir dans tes bras. Tu le comprends ça ? n Je trouve ça très touchant, mais je ne peux pas, ce serait… n Ce serait quoi ? n Mal ! n Je suis une jeune femme majeure ! A moins que le fait de baiser avec une pute te dégoûte ! n Tu ne dois pas parler de toi comme ça ! n Pourquoi ? C’est pourtant ce que je suis, une pute, dis le, n’aie pas peur ! n Non ! Tu es une belle jeune femme, aussi séduisante que n’importe laquelle et si tu ne te respectes pas toi-même personne ne le fera. n Apparemment je ne suis pas aussi séduisante que ça puisque tu ne me désires pas ! n Je ne sais pas si c’est du à la différence de génération, de culture ou je ne sais quoi mais pour toi les choses semblent si simples. Bien sur nous pourrions faire l’amour mais après ? n Après quoi ? n Ben après que se passera-t-il ? n Mais je ne te demande rien. Essaie de vivre l’instant présent. Tu sais chez nous il y a un proverbe qui dit : « Vivons l’instant présent car le suivant risque de ne jamais se produire » Alors ne te soucie pas de l’après. Je n’attends rien de toi, juste un moment de bonheur, de plaisir pour toi et moi. n Tu es inconsciente ou quoi ? n Ok ! Je m’en vais, et merci pour le dîner. Tiens ( elle sortit les cent euros de son sac à main et les lui donna) n Mais ils sont à toi, je t’ai fait perdre ton temps ! n Ce n’était pas du temps perdu ! Salut !
En la voyant partir Richard ne savait plus s’il avait refusé par conviction ou pour obéir à Dieu sait quelle règle morale qui l’asphyxiait. Il éprouvait l’envie de courir après cette « Shéhérazade » qui l’attirait à un point qu’il s’écoeurait lui-même de ce désir qu’il voulait réfréner. Il finit tout de même par partir à sa recherche, courant comme un fou à travers ces rues mornes et sombres. Lorsqu’il l’aperçut entrain d’accoster un client, il faillit s’éprendre de colère. Alerté par ses pas affolés, Neïma se retourna, elle se réjouissait de son empressement à la soustraire des « pattes » de l’éventuel client. Sans ménagement il la saisit par le bras et lui fit grimper quatre à quatre l’escalier de l’hôtel. La vigueur de Richard ainsi que la force qu’il exerçait sur son bras irritait la jeune femme, elle avait envie de protester, mais quelque chose l’en empêchait. Elle le regarda fixement, s’apprêtant à lui flanquer sa colère au visage mais en lisant la honte sur la face presque infantile de Richard, elle eut envie de le serrer dans ses bras : n Pardon, je ne sais pas ce qui m’a pris, mais quand je t’ai vu avec ce mec, j’ai failli lui casser la gueule ! n T’es marrant toi ! Tu ne veux pas me toucher mais t’es prêt à démolir tous ceux qui peuvent le faire ! n Je n’ai pas dit que je ne voulais pas te toucher ! n Ben alors ? n Je crois que j’ai peur ! n Tu as peur de quoi ? n Je ne sais pas ! De te décevoir ! De t’abîmer ! De te blesser ! Ou peut-être de ne plus pouvoir me passer de toi ! Que sais-je encore ! n Tu sais je ne suis pas en sucre, j’ai vécu, je ne suis plus une petite fille. n Je sais ! Mais j’ai l’impression que nous deux ce serait sale, malsain, moche ! n C’est la première fois que je rencontre un mec comme toi ! n Oui ! Je dois avoir l’air idiot ! n Non, pas idiot, un peu bizarre c’est tout ! Mais ça ne me déplait pas ! n Je crois que je ferais mieux de partir. Je sais que je n’ai pas de conseil à te donner, encore moins de leçons de morale, mais change de job, ça ne te va pas, t’es trop bien pour ça ! n Tu penses que les putes sont des garces, des connes ou des salopes ? n Non, évidemment mais toi…t’es trop bien ! n Tu ne devrais pas m’idéaliser, tu ne connais rien sur moi en dehors de ce que j’ai bien voulu te dire. n Je ne crois pas me tromper, t’es une fille bien ! n Alors, tu pars comme ça ? Tu ne me feras rien ? n Non, j’en ai déjà assez fait ! Je n’aurais jamais du monter, je t’ai foutu ta soirée en l’air ! n Sûrement pas ! C’était bien ! n Qu’est-ce qui était bien ? n Tout ! La conversation, la balade, le dîner, ta….petite scène de jalousie, tout quoi ! n Ma scène de jalousie ? n Tu sais très bien ce que je veux dire. C’était mignon, c’était la première fois qu’un homme prouvait qu’il s’intéressait à moi. n Pas de chance il a fallu que ce soit un vieux ! n Arrête avec ça ! T’as l’air d’un jeune homme ! Dans mon pays on marie des mecs de cinquante ans avec des mômes de quinze, même treize ans, et la nuit de noces se transforme en viol légal ! Alors avec tes scrupules paternalistes, tu me fais bien rigoler ! n Tu te moques de moi là ? n Non ! Je veux juste te tranquilliser si tu as envie de moi rien ne doit t’empêcher de me sauter, surtout pas moi ! n Tu t’entends parler ! Sauter, baiser, pute, tu te vois comme un morceau de chair à dévorer ! Mieux vaut que je m’en aille ! n Tu vois, je ne suis pas aussi bien que tu le penses ! n Tai- toi ! Tu racontes des conneries ! Fais bien attention à toi ! Bon courage.
Elle se jeta sur lui et lui déposa un baiser sur la joue. Il l’accepta sans broncher, puis se hâta de quitter, la chambre, la rue, le quartier, s’efforçant d’oublier au plus vite celle qui avait failli changer le cours de sa vie. Elle resta immobile, sur son lit, une larme déferla sur sa joue sans qu’elle sût en expliquer la raison.
FIN
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